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[Review] Adventureman tome 1 : le pulps positivement actualisé.

[Review] Adventureman tome 1 : le pulps positivement actualisé.

Les super-héros ont connu de nombreuses phases, plus ou moins connues du grand public, au fil des décennies. On peut distinguer schématiquement trois grandes périodes révolues venant avant l’ère moderne, actuelle des comics : le Golden Age, le Silver Age et le Bronze Age.

Celles-ci ont aussi puisé dans les archétypes des pulps des années 30 que personnifiaient Doc Savage, The Shadow, Zorro, The Spider, John Carter, Miss Fury, Flash Gordon et tant d’autres pulp heroes. Tous les noms précédemment cités ont d’ailleurs continué d’exister à travers des comic books à des périodes plus ou moins lointaines. Dynamite Entertainment s’est notamment spécialisé dans la revitalisation d’icônes pulps comme le prouvent par exemple la campagne de financement participatif de l’éditeur d’un nouveau roman graphique Miss Fury ou le lancement d’une série Green Hornet à l’occasion des dix ans du personnage au sein de son catalogue.

Grâce à leur transposition vers un autre média au sein duquel ils ont su durablement élire domicile, ces personnages persistent toujours dans l’ombre de leurs héritiers dotés de super-pouvoirs, infiniment plus populaires qu’eux désormais. Ils contiennent en eux une nostalgie indéniable dans laquelle lecteurs et artistes aiment se replonger de plus en plus. Les pulp heroes réutilisés de nos jours incarnent cette idéalisation, de même que l’image floue mais agréable que l’imaginaire collectif s’en ai fait.

J’achève à dessein mon introduction sur la notion de souvenir puisqu’elle s’avère centrale dans la lecture qui nous intéresse aujourd’hui : j’ai nommé le premier tome d’Adventureman écrit par Matt Fraction et illustré par Terry Dodson, avec la complicité de sa compagne Rachel Dodson, publié par Glénat !

La carrière prolifique de Matt Fraction s’est majoritairement déroulé au sein de la Maison des Idées, pour laquelle il a pu officier sur de nombreux personnages : Hawkeye qu’il a révolutionné avec David Aja, les Quatre Fantastiques, Iron Man, Iron Fist ou encore les Uncanny X-Men.

Au sein d’Image Comics, l’auteur a aussi pu collaborer avec des créateurs importants à l’instar d’Elsa Charretier, fierté nationale au trait rétro virtuose, sur November, Chip Zdarsky pour Sex Criminals ou encore ODY-C avec le phénoménal Christian Ward dont le style psychédélique foudroie les rétines de beauté.

Néanmoins, c’est bien chez Marvel que Fraction a pu collaborer avec Terry Dodson, à l’occasion d’Uncanny X-Men ou du titre The Defenders au début des années 2010 entre autres.

Ce dernier dispose d’un trait reconnaissable, à la fois moderne et très inspiré d’une esthétique vintage, qu’il met souvent au service de personnages féminins : la Princesse Leia à son retour chez Marvel, Harley Quinn ou Catwoman à travers des couvertures.

Terry Dodson a aussi assuré la partie graphique sur Le Dernier Combat, une histoire de Spider-Man scénarisée par Mark Millar sous le label Marvel Knights, destinée à des histoires plus matures qu’à l’accoutumée, avec Frank Cho. En plus de vivement vous conseiller cette histoires maintes fois rééditée en France, ce rapprochement me permet d’évoquer un goût commun des deux illustrateurs pour les situations lascives et les corps féminins, que nous avions déjà pu aborder sur le blog à l’occasion de la critique de Jungle Girl. La bande dessinée Red Skin, qui marque la première collaboration entre Terry Dodson et l’éditeur français Glénat, l’illustre parfaitement.

Rachel Dodson se charge d’encrer généralement les illustrations de son mari, comme ses passages sur Uncanny X-Men, ses covers pour la série Catwoman ou Teen Titans : Earth One. Le couple forme une association harmonieuse, dans laquelle Rachel accentue l’aspect contemplatif et vivant des illustrations de Terry. Le niveau de détail de celles-ci varie en fonction de la situation, mais conservent une sensation de mouvement appréciable.

Les caractéristiques des dessins de Terry Dodson évoquées précédemment entrent en parfaite cohésion avec le sujet d’Adventureman où le passé se répercute continuellement dans le présent, où la fiction s’entremêle à la réalité pour finalement s’y confondre. Claire Connell, une mère célibataire sourde, devient mystérieusement la nouvelle incarnation d’Adventureman, un héros a priori fictionnel. Pourtant, tout ce que les histoires qu’elle racontait à son fils Tommy s’avérait véridique. Les personnages qui accompagnaient ou, à l’inverse, affrontaient le plus grand héros new-yorkais de pulp ont simplement été unanimement oubliés. Cette amnésie collective est sur le point de prendre fin, le retour d’Adventureman n’arrivant pas seul…

Plusieurs éléments attisaient ma curiosité autour de ce titre avant que je ne passe le pas de la découverte. Outre l’équipe créative alléchante, le format du recueil lui-même attire l’œil par son aspect singulièrement massif, plus proche d’un tome des standards du franco-belge que des comic books habituels.

Mais cette qualité éditoriale influença bien moins mon intérêt pour le titre que son univers visuel attrayant. La vibe rétrofuturiste, incarnée par le logo de la série confectionnée par Leonardo Olea et le bâtiment dans la pure veine art déco fièrement dressée dans l’arrière-plan de la couverture du livre, a suffi à m’emporter. L’hommage truculent aux héros archétypaux et à leurs répliques délicieusement kitschs fonctionne à la perfection au début du tome. Bien que l’action y soit à mon sens un peu confuse, l’ambiance posée par Fraction réactive l’héroïsme outrancier mais plaisant des pulps qui lui servent de source d’inspiration première.

La transition de la fiction intradiégétique à la réalité du comics, celle de Claire Connell, une ancienne policière reconvertie en libraire après la mort de sa mère, constitue un rebondissement intéressant. L’Adventure Incorporated, l’équipe d’Adventureman et sorte de versant positif, intègre des Watchmen d’Alan Moore, se révèle n’être que des personnages de fiction tombés en désuétude au départ.

Les ennemis profitent aussi de looks ubuesques et découlent de nombreux lieux communs.

Après leur introduction, le quotidien de Claire est exposé et brille par sa richesse. Membre d’une famille juive composée de six autres filles adoptées, surplombée par un patriarche veuf et grisonnant, Claire Connell trouve sa vie insipide à côté de celles de ses sœurs. La disparition de leur mère plane toujours durant les repas de shabbat où toute la fratrie se retrouve solennellement.

Même si ce premier tome se focalise principalement sur le chamboulement de la vie de Claire, des thématiques matures et diverses grouillent au sein des pages d’Adventureman telles que le deuil, la vie monoparentale ou le multiculturalisme qu’incarne les Connell. Elles profitent d’un traitement subtile, voire anecdotique, afin de ne pas oublier le fun de la formule pulp revisitée.

C’est d’ailleurs dans cette association que réside une des grandes qualités du titre, fondée sur un désir revendiqué de Matt Fraction en fin de tome. En effet, le scénariste a cherché, à travers son œuvre, à épurer les pulps des idéologies nauséabondes, notamment misogynes et colonialistes, qui pouvaient y être enracinées. Simplement mises en scène comme à l’époque des pulp heroes originels, la vision réductrice contenue en leur sein n’est pas lourdement condamnée pour autant.

À la place, elle se voit balayée au profit de valeurs positives et d’une inclusivité innovante, bienvenue en plus d’être admise à juste titre comme nécessaire. Claire, en devenant le nouvel avatar d’Adventureman, incarne judicieusement ce changement d’époque et de mentalité. La justesse de l’écriture de Fraction octroie à la famille Connell une réelle humanité crédible qui se dégage de chacun de ses membres, à travers desquels se déploie un large horizon de physiques, de personnalités, sans pour autant les réduire à un trait caractéristique caricatural.

La famille Connell, pour le moins atypique, au complet.

À l’inverse, les recrues d’Adventure Inc représentent chacun un stéréotype, de même que leurs antagonistes, permettant ainsi de décupler la fraîcheur et la complexité de l’héroïne d’Adventureman et de sa famille, pour l’instant laissée en retrait.

L’importance centrale de la mémoire et de la fiction, aussi bien comme force motrice que source de pouvoir pour les Barons Bizarres, insère organiquement la nostalgie dans le récit. Le rapport ambigu au passé, idéalisé mais parfois douloureux, et à l’imaginaire m’a rappelé Miracleman, Sentry ou encore Superior de Mark Millar, dans lequel le protagoniste, qui se trouve être lui aussi en situation de handicap, voit sa vie ordinaire et son idole fictionnel s’entrecroiser.

À côté de ce projet plus profond, Fraction développe tout de même une intrigue super-héroïque convenue, volontairement simpliste, où les aventures absurdes et décomplexées vont bon train. Si le premier tome d’Adventureman se focalise davantage sur la présentation de son univers et de ses personnages, il parvient aussi à annoncer la ribambelle d’actions à venir !

Une espièglerie sulfureuse émane aussi de l’héroïne de Fraction, mais de manière plus élégante et infiniment plus parcimonieuse que chez Frank Cho par exemple. La transformation physique de Claire accompagne son regain de vitalité jovial participant à rendre le personnage attachant.

J’ai déjà salué le travail éditorial de Glénat en début de critique, mais je me dois de les remercier à nouveau pour le conséquent dossier revenant sur la genèse d’Adventureman expliquée par Matt Fraction. En plus d’y voir des croquis préparatoires forcément intéressants, l’auteur y explique ses intentions, ce qui permet d’apprécier d’autant plus l’histoire proposée. Le lecteur curieux apprend ainsi tout l’itinéraire qu’a connu le projet Adventureman! avant d’être concrétisé, en plus d’anecdotes comme le nom de Jim Royale le Gentleman en hommage à Jim Royal, un illustrateur et encreur décédé en 2009.

Adventureman propose de suivre un récit somme toute classique, compensé par une galerie fournie de personnages très bien écrits. Tous les éléments relatifs aux pulps retranscrivent à merveille les modèles qui les ont inspirés. De l’autre côté, le monde contemporain et ses habitants profitent également de l’écriture efficace de Matt Fraction. Il fait de son terrain de jeu, New York en l’occurrence, le catalyseur des différentes tensions scénaristiques : le passé et le présent, la réalité et la fiction…

L’architecture de Bioshock rencontre les blagues des Indestructibles pour un résultat moderne et prenant. L’auteur profite de toutes les forces du médium dont il reprend les codes tout en en compensant l’aspect implicite discutable. Le couple d’illustrateurs à ses côtés magnifie les situations mises en scène et parvient à instaurer une réelle identité à chaque lieu visité, chaque personnage rencontré, chaque temporalité invoquée.

Décontractée tout en étant intelligente, la lecture d’Adventureman ravira des souvenirs à tous les lecteurs, même à ceux qui comme moi n’ont pas connu ou seulement très partiellement les récits auxquels le titre rend hommage, tant son respect fidèle aux pulps paraît évident et sincère.

Le dossier de fin de tome, s’il divulgue à l’avance quelques pistes pour la suite de l’histoire, fournit un superbe annexe au comics en en délivrant les clés de lecture et de fabrication. De plus, le grand format du volume permet d’apprécier encore davantage les planches des Dodson sans pour autant nuire au plaisir de lecture.

Ma review est désormais terminée ! Je suis pressé de lire la suite des aventures de Claire et de sa famille, en dépit de son classicisme assumé mais tout de même un peu prévisible. Les bonnes idées fourmillent et le style graphique du couple Dodson permet vraiment, à mes yeux, de passer un bon moment grâce à Adventureman et à l’écriture astucieuse de Matt Fraction ! Sur ce, je vous donne rendez-vous rapidement pour de nouveaux articles. Et d’ici là, n’hésitez pas à nous faire part de votre avis en commentaires ou sur les réseaux sociaux. À bientôt !

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