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[Review] BRZRKR #1 : Immortal John Wick, ou l’autogestion de l’aura de Keanu Reeves

[Review] BRZRKR #1 : Immortal John Wick, ou l’autogestion de l’aura de Keanu Reeves

L’arrivée de Keanu Reeves dans le monde des comics a su indéniablement faire sensation. Répondant au doux nom de BRZRKR, le projet porté par l’acteur emblématique de la saga Matrix, a généré près de 2 millions de dollars grâce aux précommandes aux futurs volumes reliés, et ce avant même la publication de sa première issue début mars 2021. Cette prouesse attise ma curiosité et contribue à la hype autour de l’œuvre, hype qui m’a finalement motivé à acheter le premier numéro de celle-ci. Pas moins de quasiment 16000 personnes ont donc foncé tête baissée pour soutenir la nouvelle licence de BOOM! Studios et la première expérience d’auteur de l’acteur.

Et pour l’occasion, il s’entoure d’une équipe de pointures remarquable : le prolifique créateur Matt Kindt, que j’ai pu rencontrer, en premier lieu. Artiste total sur des projets tels que Mind MGMT, Super Spy ou Depth H et figure essentielle au renouveau des héros Valiant, il travaille sur le scénario de BRZRKR aux côtés de Keanu Reeves. D’ailleurs, Kindt connaît bien l’éditeur avec lequel il collabore à nouveau ici puisqu’il a déjà accouché de plusieurs titres chez eux : Grass Kings, Black Badge, Folklords

Ron Garney, illustrateur emblématique des nineties pour ses travaux sur les séries Captain America, Hulk ou Silver Surfer de cette décennie, assure la partie graphique de l’œuvre qui nous intéresse présentement. Ce dernier s’est aussi brièvement essayé à l’écriture, notamment pour la mini-série Captain America : Sentinel of Liberty qu’il illustrait également à la fin des années 90.

Plus récemment, Garney travailla sur l’Uncanny X-Force de Sam Humpries, sur le Daredevil de Charles Soule et sur Savage Sword of Conan avec Jason Aaron, titre marquant le retour du Cimmérien au sein de la Maison des Idées depuis 2018. Cet historique non-exhaustif permet de prendre conscience de la longévité de la carrière du dessinateur mis à contribution sur ce curieux projet. Le fait qu’il ait aussi eu l’occasion de travailler sur le personnage de Wolverine ne me paraît pas anodin tant le protagoniste de BRZRKR semble lui être redevable.

Cette équipe créative plonge le lecteur dans une opération sanglante perpétrée par un être anonyme et immortel officiant pour le gouvernement américain. Né il y a des dizaines de milliers d’années, le guerrier invincible et barbare ne souhaite qu’une chose : devenir mortel.

Même si je le souhaitais, je ne pourrais pas vous en dire plus au sujet de l’intrigue du titre. Et pour cause, les auteurs privilégient l’avalanche d’action au détriment de la caractérisation du Berserker, le personnage principal du comics, qui se révèle assez convenue et peine à convaincre en l’état.

Le Berserker, ou B, naît d’une synthèse entre John Wick, pour la ressemblance évidente avec l’acteur qui l’a créé et pour son côté implacable, et de Wolverine dont il hérite le pouvoir de régénération et la rage bestiale. Virtuellement, cette fusion aurait pu donner lieu à un comics introduisant rapidement son concept avant de s’assumer comme une lecture spectaculaire. Ce qui obscurcit le tableau, c’est que rien de foncièrement original n’en transparaît. Le plot twist de fin de numéro, censé happer le lecteur pour le motiver à poursuivre sa lecture, n’arrive pas non plus à contrebalancer l’amertume de lire un début de récit mouvementé mais quelconque. De plus, le ton bien trop sérieux et relativement philosophique de la discussion entre la psychologue et le surhumain empêche BRZRKR d’atteindre le fun bourrin promis par son concept.

La morale discutable du personnage n’aide pas non plus à le rendre crédible puisqu’il semble suivre un but somme toute égoïste, et ce en éviscérant à tour de bras, là où John Wick possède une raison toujours plus ou moins identifiable et noble de faire usage de la violence. Toutefois, j’espère naïvement que Matt Kindt cache bien son jeu et qu’il saura insuffler l’intelligence de son écriture au concept de Keanu Reeves.

Au-delà de ce début peu encourageant, le phénomène dont il constitue la première stèle me paraît bien plus intéressant. En effet, ce comic book donne à voir l’implication directe de Keanu Reeves dans sa propre mythification. Avec ce nouveau personnage, qu’il alimente avec l’imagerie de ses rôles passés, il participe activement à s’ancrer dans l’imaginaire collectif, à entériner sa légende. Le film et la série animée qui seront bientôt tirées du titre soulignent le processus entrepris par Keanu Reeves, qui décide ainsi de prendre pleinement en charge l’exploitation de son aura actoral en créant ses propres histoires sur différents supports. La narration fortement cinématographique, fondée bien plus sur le mouvement que sur la parole, facilite même la passerelle entre dessins figés et adaptations en mouvement. La multiplication de poses stylisées, appuyant la maîtrise de l’art de la guerre du Berserker, contribue à la volonté de le rendre aussi charismatique qu’impitoyable.

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Keanu Reeves saute d’un hélicoptère en vol sans protection, tel un super-héros, dans une pose rappelant d’ailleurs la pose légendaire de Batman dans The Dark Knight Returns de Frank Miller.

Le passage dans l’obscurité souligne la monstruosité du personnage, mis en scène comme une créature uniquement animée par la violence.

S’il continue de travailler avec les cinéastes qui ont fait sa renommée, les sœurs Wachowski au début des années 2000 et Chad Stahelski pour les années 2010, je ne serais pas étonné que l’acteur-producteur prenne sous son aile de jeunes réalisateurs pour des projets dans lesquels il s’impliquerait activement, à l’instar de Tom Cruise par exemple.

En plus de l’inspiration puisée dans sa propre carrière, et principalement du héros éponyme de la saga John Wick, l’acteur récupère les traits caractéristiques de personnages iconiques du médium qu’il investit. Deadpool, Wolverine, la passion de Rob Liefeld pour les pochettes incarnée par The Pouch, toutes ces références se retrouvent intériorisées sous les traits reconnaissables de Keanu Reeves.

Sur une note plus sérieuse, l’influence de Frank Miller, et notamment de Sin City, se ressent aussi dans la première moitié de l’issue. Déjà parce que l’hémoglobine va bon train, mais aussi et surtout parce que l’intensité des coups portés par le Berserker est accentuée par des cases saturées, seulement remplies de noir, de blanc et, surtout, de rouge sang. Cet effet de style, déployé avec parcimonie, n’atténue par pour autant la violence du titre. Cervelle, globes oculaires se dispersent régulièrement après qu’un crâne ait été brutalement explosé, le tout dans un déluge d’effusions de sang. BRZRKR constitue en cela un penchant R-Rated, très graphique, des films John Wick, le respect pour le camp adverse en moins.

Montré comme un héros d’action surpuissant, B fracasse littéralement ses ennemis.

Les dessins abruptes, âpres de Ron Garney entrent en parfaite symbiose avec la rage du protagoniste inarrêtable. La colorisation simpliste de Bill Crabtree souligne la saleté des illustrations de Garney. Elle sert à merveille l’hommage rendu à Miller et appuie l’atmosphère sordide du carnage causé par B. La partie graphique de ce premier chapitre met en valeur la puissance du personnage, à tel point que le seul obstacle qui semble pouvoir lui tenir tête se révèle être sa propre immortalité dont il souffre. Néanmoins, la relation ambiguë et a priori intéressée liant le protagoniste au gouvernement américain laisse présager un conflit entre les deux partis.

Le point de départ du premier comics de Keanu Reeves laisse une impression mitigée. Bien que son concept fonctionne et que l’introduction, pour le moins musclée, du protagoniste ne trahisse pas la promesse initiale, l’entre-deux dans lequel se loge BRZRKR rend la lecture quelque peu insipide. L’action décérébrée et la psychanalyse artificielle se court-circuitent toutes les deux et laissent l’issue dans une forme d’indécision schizophrène. La gravité symbolique des enjeux du personnage entre en contradiction avec la brutalité qu’il manifeste, empêchant le titre d’être aussi appréciable que son homologue cinématographique John Wick.

Compte tenu de la vision à long terme vraisemblablement mise en place par Kindt et Reeves, BRZRKR révèlera peut-être son plein potentiel en volumes reliés, en lisant l’histoire d’une seule traite ou par arcs narratifs complets. De plus, le rythme effréné de la première moitié du chapitre et les nombreuses situations spectaculaires présentées en son sein justifient complètement que l’œuvre soit adaptée sur d’autres supports. Pour autant, cette première issue reste tout juste correcte, davantage grâce à sa partie graphique en osmose avec son récit que par son intrigue commençant de manière générique.

Ce léger sentiment de déception conclue ma review qui, je l’espère, vous a plu. Les différents éléments évoqués concernant la destinée du comics m’empêchent d’être totalement catégorique à son sujet tant il fait partie d’un projet qui le dépasse. Je pense qu’il faudra poursuivre la lecture le temps de quelques numéros supplémentaires pour savoir si BRZRKR n’est qu’un divertissement moyen et une base idéale pour des adaptations cinématographiques et télévisuelles, ou s’il conserve la majorité de ses attraits pour plus tard. Dans tous les cas, je vous laisse désormais et vous donne rendez-vous très bientôt pour de nouveaux articles !

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